Un film de Michael WINTERBOTTOM
Drame/Thriller - Etats-Unis - Couleur - 1h50
Sortie française le 11 août 2010
Scénario de Michael Winterbottom et John Curran
Produit par Andrew Eaton, Chris Hanley, Bradford L. Schlei et Susan Kirr
INTERDIT AUX MOINS DE 12 ANS
De quoi ça parle ?
Dans une petite bourgade du Texas, au début des années 50. Lou Ford, l'adjoint du shérif local, est un jeune homme apparemment bien sous tout rapport. Mais en réalité, il cache sous ses airs de bon garçon beaucoup de haine et de frustration envers les femmes, ainsi qu'un tempérament extrêmement violent. Bientôt, Lou tombe amoureux de Joyce, une jeune et belle prostituée, et s'embarque dans une étrange affaire. Et la police commence à soupçonner certaines de ses activités nuisibles...
C'est avec qui ?
CASEY AFFLECK > Lou Ford - KATE HUDSON > Amy Stanton - JESSICA ALBA > Joyce Lakeland - ELIAS KOTEAS > Joe Rothman - SIMON BAKER > Howard Hendricks - NED BEATTY > Chester Conway - TOM BOWER > Le shérif Bob Maples - BILL PULLMAN > Billy Boy Walker
Et ça donne quoi ?
Un film dépoque (« Jude » avec Kate Winslet). Un film érotico-musical (létonnant « 9 songs »). Un docu-fiction choc (« The road to Guantanamo »). Une comédie (« Tournage dans un jardin anglais »). Ou encore un drame (« Un cur invaincu » avec Angelina Jolie). Le britannique Michael Winterbottom aime toucher à tous les genres. Il nous revient avec un film noir, un vrai, froid, sulfureux et ambigu, ambiance old school. Porté à lécran par de remarquables interprétations, notamment Casey Affleck, parfait, « The killer inside me » a vraiment (presque) tout dune bonne claque.
On va commencer en tordant le cou à une rumeur, qui sest légèrement répandue avant que le film ne sorte : « The killer inside me » na absolument rien à voir avec « Dexter », et inversement. Que les choses soient claires pour ceux qui penseraient y voir un produit dérivé, surfant sur la vague du succès de la série TV, il nen est rien. Ici, notre tueur est adjoint au shérif dune petite ville, et pas expert médico-légal dans limmense commissariat de Miami, et lui ne choisi pas ses victimes afin de rendre une certaine justice, il tue principalement des femmes, avec lesquelles il a un gros problème poussé par dincontrôlables instincts meurtriers. Surtout, il na rien du serial-killer méthodique. On peut dire que le seul point commun quil a avec Michael C. Hall, est la bonne tête du gendre idéal, poli, serviable, pas méchant pour deux ronds. Pour en finir avec les comparaisons, même ce qui se passe dans leur tête est bien différent. Cest dailleurs à lintérieur du crâne gravement torturé de ce petit flic de campagne que Michael Winterbottom nous plonge âprement. Une vertigineuse immersion dans le subconscient dun homme pervers, imprévisible et froid, magistralement campé par Casey Affleck. Cest notamment grâce à lui que ce film bien barré vaut le coup dil, son jeu dacteur réglé comme du papier à musique transcende vraiment le tout. Avec sa gueule dange et ses bonnes manières, il incarne idéalement le bon gars, bien sous tout rapport. Le tour de force consiste ici à donner vie à lentité maléfique de ce même personnage avec une force égale, voir même supérieure. Et cest totalement réussi, puisque avec sa voix basse et lente, son petit regard mesquin et ses airs arrogants que rien ne peut perturber, le petit frère de Ben Affleck nous offre également une facette bien cruelle de son Lou Ford. Le genre de gars instable et sévèrement dérangé, fourbe et manipulateur, qui nagit quen suivant bestialement ses plus bas instincts, pouvant aussi bien couvrir une femme de baisers et de mots doux le matin, et la tabasser à mort le soir même, sans éprouver la moindre petite once de remord. Pris dans une interminable spirale de violence et de mensonges de plus en plus difficile à dissimuler, il sent le piège se refermer progressivement sur lui. A ses côtés, les seconds rôles sont épatants (citons juste la sublime Jessica Alba, ou les excellents Elias Koteas, un des meilleurs seconds rôles américains, et Simon Baker, vu dans la série TV « The mentalist »). Mais Winterbottom ne traite pas ici que de la psychologie de son anti-héros. Si il se livre avec grand soin à létude des méandres nébuleux de lesprit tordu de ce psychopathe, tout en évitant de donner des explications ou de dresser un portrait style "pourquoi je suis un méchant qui fait du mal", il tente par la même occasion de dresser une critique sociale de lAmérique des années 50. Ultra-moraliste et puritaine au possible en façade, cette époque daprès-guerre est également marquée par une violence exacerbée et une corruption ambiante, qui la ronge de lintérieur. Exactement à limage de notre shérif-adjoint, comme si la société dans laquelle il vit avait déteint sur lui La reconstitution dépoque est minutieuse, lambiance rétro bien retranscrite, le tout accompagné par une image au grain appliqué, quelque peu passée, une narration très nerveuse, et une bande-son qui colle à merveille au sujet. Sans oublier le générique douverture qui met tout de suite dans le bain. Lhistoire, ténébreuse comme une rude nuit dhiver, souvent teinté dérotisme, est violente, parfois dérangeante, mais sans verser dans la complaisance. On ne choque pas juste pour jouer la fausse carte de la provoc inutile. Malheureusement, cette uvre ambitieuse et pour le moins étrange, omet quelques détails qui font un peu grincer la belle machine, lempêchant de pouvoir être assimiler à un VRAI grand film. Notamment dans la première partie, un brin de confusion se mêle à une histoire un peu complexe, et on peut regretter que Winterbottom ai préféré se concentrer à fond sur ses acteurs, soigné ses plans sur leur visage et expressions, au détriment de porter plus dattention à son récit. Le second acte est bien meilleur, plus intense, lodeur de souffre nen finissant pas daugmenter. Et la peinture du contexte de lépoque, qui sattaque à dénoncer trop de choses, ne parvient pas à développer tous ses thèmes avec aboutissement. On pourra aussi regretter la pudeur contractuelle de Jessica Alba. Mais rien nest vraiment rédhibitoire, et il serait très sévère, voir injuste, de dénoter ce long-métrage pour cela.
Loin dêtre le film de serial-killer typique où lenquête policière est mise en avant, « The killer inside me » est avant tout un polar bien sombre et glacial, qui ne nous fait aucune concession, et dont le réalisme, prenant, désarçonnant, est à saluer. Une chose est sûre, tout le monde naimera pas cette production indépendante pourtant pleine de classe, certains seront même dérouté par son climat délétère. Mais si vous aimez le genre de films qui vous offre ce quils ont de plus serré, alors je vous le recommande vivement.
Quelques trucs à savoir sur le film pour se la péter en société
* « The killer inside me » est le 19ème film mis en scène par langlais Michael Winterbottom. Né en 1961, ce metteur en scène expérimenté nest pas du genre à soffrir de longues périodes dinactivité ou mettre des années à monter un projet. La preuve, ses 19 longs-métrages, additionnés à plusieurs documentaires, ont été réalisés en à peine plus de 20 ans de carrière !
* Ce film est adapté dun roman du
même nom de Jim Thompson, paru en 1952, et sorti en France sous le titre
« Le démon dans ma peau ». Au moment de sa parution, il avait choqué
le monde littéraire, avant de devenir une véritable référence du genre. Cet
écrivain américain, né en 1906 et décédé 71 ans plus tard, est lauteur de
nombreux ouvrages noirs et de polars, dont plusieurs ont déjà fait lobjet dune
adaptation au cinéma, et ce même jusquen France, puisquen 1979, Alain Corneau
signe « Série noire » avec Patrick Dewaere, daprès son livre
« Des cliques et des cloaques » (A hell of a woman), et deux ans après, cest au tour de
Bertrand Tavernier dadapter une de ses histoires, « 1275 âmes » (Population 1275),
avec le film « Coup de torchon ». Thompson a également officié en
tant que scénariste à Hollywood, notamment deux fois pour le Grand Stanley
Kubrick, avec qui il co-signa les scripts de « Lultime razzia » et
des « Sentiers de la gloire ».
* Ce roman a déjà était transposé sur grand écran par Burt Kennedy en 1976, et baptisé
« Ordure de flic » lors de sa sortie hexagonale. Cest Stacy Keach
(« American history X », la série TV « Prison break ») qui
tenait le rôle de Lou Ford. Mais, pas franchement réussi, le film fut un véritable
échec, aussi bien critique que commercial. Dailleurs, Winterbottom na jamais
voulu le visionner, son but n'étant pas de faire un remake mais bien une nouvelle adaptation du bouquin.
* Décidément très apprécié par le petit monde du septième art, ce même livre de Thompson devait être en premier lieu adapter par le
réalisateur australien Andrew Dominik, qui avait commencé à travailler sur le
projet. Mais il sen désintéressa finalement pour tourner le splendide western
« Lassassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », également
avec Casey Affleck, mais aussi Brad Pitt. On sait aussi quavant de confier le
rôle principal à ce même Casey Affleck, Michael Winterbottom avait auditionné
son jeune compatriote Sam Riley, remarqué pour sa superbe interprétation du
chanteur Ian Curtis dans « Control », et quil avait déjà dirigé dans
« 24 hours party people » en 2002.
* A lorigine, Jessica Alba devait
interpréter Amy, rôle finalement tenu par Kate Hudson. Cest elle-même qui a
souhaitée sen délaisser, afin dindiquer au réalisateur sa préférence pour
le personnage de Joyce. Elle a déclarée navoir encore jamais jouée de
« bad girl » avant ce film, et cest ce qui lattirais ici.
* Casey Affleck et Kate Hudson
partagent laffiche ensemble pour la troisième fois de leur carrière, après deux
comédies dramatiques indépendantes, « Desert blue » en 1998, et « 200
cigarettes » lannée suivante.
* « The killer inside me »
a été présenté en compétition officielle au festival de Sundance en 2010, LE
festival international du film indépendant. Lors de la projection, une partie
du public sest dit choqué, notamment par deux scènes de violence assez crue, pendant que
certaines mauvaises langues taxées injustement le film de misogyne
La même année, il a également concouru lors du très important festival international du film de Berlin, et a remporté le prix de la critique lors du festival du film policier de Beaune (qui se déroulait auparavant à Cognac).